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6. Quand la fiction précède la réalité

Curieusement, la grosse monographie écrite en collaboration sur le Pays de l'Oach en Roumanie [cf. Livre, 2002] a été préparée par une fiction, en l’occurrence par un petit ouvrage publié en 1994 chez Hermann 1 .

L'idée de la fiction partait d'une réalité observée au Pays de l'Oach où chaque homme ou femme a en propre une mélodie particulière (dants) : il en est le propriétaire, et éventuellement la tient en héritage de son père; il peut aussi l'avoir composée lui-même.

Cette réalité, fondée sur des enquêtes réelles (et d'ailleurs longues)  a été transposée pour devenir le fil conducteur d'une fiction où sont traités les rapports entre une musique strictement vocale, et une population – pour le coup totalement inventée, située le plus arbitrairement du monde au Guatemala.

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Mais, alors que, grâce à une méthodologie apparemment adaptée, la fiction peut se permettre de régler l’épineux problème des traits distinctifs de ces mélodies, le livre réel, en plus de trois cents pages, n’y parvient pas vraiment.

En d’autres termes, si la modélisation fonctionne sur le plan de la fiction, la réalité a quelque difficulté à la suivre

. Car ce que, en Oach, on a appelé des “airs de famille” sont si imbriqués les uns dans les autres qu’ils ne prêtent pas à une segmentation analytique réellement distinctive. Certaines mélodies peuvent “appartenir” à plusieurs personnes – ce que chacun ignore ou feint d’ignorer – et aucune d'entre elles ne se distingue complètement de l'autre. En outre, un dants dépend étroitement de ses contextes d’exécution, lesquels sont variables et relèvent d’étroites interactions entre chanteurs et violonistes. Bref, la fiction a suggéré une lecture a priori d’un phénomène que l’expérience du terrain dut corriger. De là est née une réflexion sur une "épistémologie de l'imaginaire", publiée en 2007 dans la version italienne des Indiens-chanteurs, sous forme d'une préface investigant la façon dont se nouent les relations entre ce que le terrain offre à comprendre et ce que l’imagination et le raisonnement permettent d’explorer.

C’est bien en effet à la croisée de ces chemins que se situent les "sciences de la musique", sollicitant un imaginaire quasiment illimité et requiérant un discours objectif sans lequel elles ne mériteraient pas leur nom – sciences particulièrement difficiles qui méritent en effet qu’on s’y consacre à plein temps.
dessin de F'murr, touché par la grâce des Moutaleros, fin des années 90 :

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1 Indiens chanteurs de la Sierra Madre. L'oreille de l'ethnologue, 1994, réédité en 2009 (édition italienne 2007 et roumaine 2015). 
A travers ce livre, il apparaît que la méthode prévaut sur l’objet lui-même. Les populations le livre sont un peu guatémaltèques, mais tout autant, sardes et roumaines.... et tout autant africainmais ou proche orientales. Elles sont archétypales d'une humanité rurale pratiquant pour régler leurs activités quotidiennes et festives.
Le livre a donc une fonction didactique. Certes, le lecteur est informé qu’il y a pastiche (mais pastiche de quoi au juste ?)  – de façon trop subtile sans doute puisque ll'ouvrage a donné lieu à plusieurs comptes-rendus, dont l’un au moins n’a pas détecté le subterfuge et a salué l’exemplarité de l’étude et son remarquable réalisme !

 

 

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