5) Au coeur de la musique : le concept de « transmutation »
Dans la ligne d’un Roger Scruton [8] pour qui la musique ne se définit pas en terme de structure, mais en terme de modalité cognitive, on peut considérer que ce qui est constitutif du musical ne tient pas aux propriétés acoustiques des sons mais seulement à la façon de les entendre. Il y a là une thèse qui mérite de nombreux développements. Bref, et pour revenir à notre magnifique 241P17, pour qu’elle soit musicale, il suffit de l’entendre comme telle. Quant aux ingénieurs du Creusot, qui avaient pensé faire une machine destinée à emporter quelques voyageurs aisés, et peut-être sourds, sur la Côte d’Azur, à Venise, en Turquie, ils furent des Stradivarius.... mais à leur insu. C'est une machine vivante qu'ils ont faite : elle a un ventre qu'il faut remplir, des bras et des manettes (c'est-à-dire des "petites mains") qui sortent de ce ventre et qu'il faut manoeuvrer , une énorme bouche qu'il faut ouvrir et nourrir, un coeur et un souffle, une châleur animale (pas moins de 60° dans l'habitacle), une pression qu'il faut contrôler, des cris hurlés enfin, modulés sur plusieurs registres qui expriment la voix du mécanicien et avertissent tout le monde de sa présence.
<www.youtube.com/watch?v=I6vlQYSvRKY>
<http://www.youtube.com/watch?v=4U4LMPMsngM&feature=related>
"Et c'est pourquoi elle chante", pourrait-on dire en paraphrasant Molière
Il en ressort que la locomotive perd ses caractéristiques d'objet inanimé pour devenir humaine, ou à tout le moins "être biologique" assimilé à un animal monstrueux et bien vivant. Elle ne relève plus de la "classe 3", où spontanément on pouvait la ranger, mais de la classe 1. Cette transformation obéit à une sorte de basculement conceptuel dans lequel deux pôles s'inversent, selon le schéma :
inhumaine/bruyante-----> humaine/musicale.
Il semble que les faits doivent être pensés dans cet ordre et non dans l'autre [ bruyante/inhumaine/-----> musicale/humaine] , à partir d'une hypothèse : les propriétés musicales d'un phénomène sonore seraient consubstantiellement liées à l'humanisation de ce phénomène.
Il reste alors à comprendre comment cette humanisation est possiible et en quoi elle consiste. Elle obéit à deux principesl opposés, selon qu''on prête à un objet acoustique lambda des propriétés humaines, ou selon qu'on lui attribue ces propriétés, en toute arbritrarité.
Dans le cas de la locomotive, la rupture conceptuelle se réalise à travers une rupture d'arbitrarité, au sein d'un seul paradigme: dont les termes sont reliés : mouvement, mouvement bruité, mouvement bruité cyclique, fumée, souffle, déplacement, organes visibles pour ce déplacement (pistons, bièles, etc.),
Le langage musical – comme tout langage – n'a eu de cesse de tenter d'ôter à la musique ses propriétés naturelles et humaines, en la soumettant à des traitements formels. Pour cela, elle dut se penser "a tavolina", sur la table, et pas même au piano, ou à la guitare; elle dut s'imaginer abstraite, et procéder par la création d'une certaine illusion voulant accréditer le fait que la musique est faite de sons qui ne viendraient de nulle part et qui, à ce titre, seraient dotés d'une totale autonomie.
Transmutation = l'opération musicienne.
MOMENTANEMENT INTERROMPU
[1] Les compositeurs du XXe siècle (Honneger et son Pacifique 231, les futuristes italiens et aussi le Jazz) n’ont d’ailleurs pas hésité à utiliser ce genre de machinerie sonore à des fins d’inspiration ou de réalisations musicales.
[2] D’ailleurs, si le son se « désogranisait », cela voudrait dire que la machine risquerait bien vite de tomber en panne. !
[3] 20 % des espèces seraient « chanteuses » (source François-Bernard Mâche).
[4] « Physiquement organisé » car, en pratique, une désorganisation du son produit serait très rapidement synonyme de panne pour notre locomotive !
[5] Détaillons : soit 1) l’Humain organisé (musique standard, mais aussi machine à vapeur) ; 2) l’humain non-organisé (vacarmes de carnaval, free jazz, etc.) ; 3) le non-humain organisé (locomotive d'une part, chants d'oiseaux de l'autre) et enfin, 4) le non humain non organisé (hurlements d’une meute de loup).
[6] Cité sous par Albert Mayr, 1983 : 52.
[7] Ou même « cas limite », à propos de l’opus @@@ bien connu et souvent cité de John Cage.
[8] « Pour entendre la musique, dit Scruton (1997), il faut être capable d’entendre un ordre qui ne nous informe pas sur le monde physique, qui se tient à l’écart de l’enchaînement habituel des causes et des effets, et qui est irréductible aux réalités qui lui ont donné physiquement naissance.»
NOTES :
[1] Les compositeurs du XXe siècle (Honneger et son Pacifique 231, les futuristes italiens et aussi le Jazz) n’ont d’ailleurs pas hésité à utiliser ce genre de machinerie sonore à des fins d’inspiration ou de réalisations musicales.
[2] D’ailleurs, si le son se « désogranisait », cela voudrait dire que la machine risquerait bien vite de tomber en panne. !
[3] 20 % des espèces seraient « chanteuses » (source François-Bernard Mâche).
[4] « Physiquement organisé » car, en pratique, une désorganisation du son produit serait très rapidement synonyme de panne pour notre locomotive !
[5] Reprenons : soit 1) l’Humain organisé (musique standard, mais aussi machine à vapeur) ; 2) l’humain non-organisé (vacarmes de carnaval, free jazz, etc.) ; 3) le non-humain organisé (chants d’oiseaux) et enfin, 4) le non humain non organisé (hurlements d’une meute de loup).
[6] Cité par Albert Mayr justement, 1983 : 52.
[7] « Pour entendre la musique, dit Scruton (1997), il faut être capable d’entendre un ordre qui ne nous informe pas sur le monde physique, qui se tient à l’écart de l’enchaînement habituel des causes et des effets, et qui est irréductible aux réalités qui lui ont donné physiquement naissance.»